mardi 24 avril 2012

L’historiographie, tant palestinienne qu’européenne, et depuis une vingtaine d’années israélienne aussi, a certes fini par démonter le mythe de la propagande officielle israélienne, qui affirmait depuis toujours que les 800.000 Palestiniens ayant quitté leur pays en 1948 étaient partis « de leur plein gré », et qu’ils n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes. De nombreux chercheurs, dont Ilan Pappé lui-même, ont ainsi démontré depuis un certain temps que la population palestinienne de ce qui constitue aujourd’hui l’Etat d’Israël a bien été chassée de son pays par l’armée juive. Le_nettoyage_ethnique_de_la_Palestine_Ilan_Pappe.jpgCette vérité première, quand elle est publiquement exprimée (ce qui est d’ailleurs de moins en moins souvent le cas : les célébrations en grande pompe du 60ème anniversaire d’Israël, cette année, resteront évidemment muettes sur le crime fondateur), est cependant souvent assortie de considérations hypocrites, tendant à démontrer que l’expulsion de masse des populations civiles palestiniennes fut certes regrettable, mais qu’il s’agissait d’une conséquence inévitable de la guerre, pour tout dire inhérente à tout conflit armé. « La faute à pas de chance, quoi ! » Ilan Pappé démontre exactement le contraire. Son ouvrage détaille, jour après jour, comment, dès l’annonce du plan de partition de l’ONU, en novembre 1947, les dirigeants du futur Etat juif passèrent à la phase concrète de la réalisation du programme sioniste : créer un Etat exclusivement juif, débarrassé de la plus grande partie des habitants du pays : les hommes, les femmes et les enfants de Palestine. Pappé rend compte notamment d’une réunion de travail décisive, le 10 mars 1948, où sont arrêtées les dernières modalités du « Plan D » (également appelé « Plan Daleth ») prévoyant l’attaque militaire de tous les villages de Palestine. Y compris les localités qui ont accepté, et l’ont fait savoir aux sionistes, de vivre sous la souveraineté du futur Etat juif ; y compris aussi, des villes, comme Safed, où populations arabes et juives avaient vécu en bonne entente bien avant l’arrivée des sionistes en Palestine, mais qui subiront, comme les autres, le nettoyage ethnique. A la lumière des nouvelles preuves apportées par Pappé sur le caractère minutieusement programmé de l’expulsion, l’histoire de 1948 n’est donc pas tant celle d’une guerre ayant eu pour conséquence l’expulsion, que celle du nettoyage ethnique, dont la mise en œuvre nécessitait la guerre. Et si la décision est finalisée en ce 10 mars 1948, c’est bien parce que les responsables sionistes, sous la conduite de David Ben Gourion, sont convaincus que les conditions politiques (le fait que l’ONU leur ait déjà alloué officiellement plus de la moitié de la Palestine) et surtout militaires, leur sont désormais favorables. Ilan Pappé apporte ensuite de nombreux détails inédits sur la violence exercée par l’armée juive, la future « Tsahal », qu’il s’agisse de l’officielle Haganah ou des bandes supplétives formées par les milices d’extrême-droite Irgoun (également appelé Etzel) et Stern (Lehi). On y apprend, entre autres, concernant les massacres de villageois, que le plus sanglant ne fut sans doute pas celui, déjà connu (parce que les dirigeants sionistes n’avaient pu le masquer, à l’époque) de Deir Yassin, mais celui intervenu dans le village de Dawaimeh, le 28 octobre 1948 près de Hébron, où 455 habitants furent assassinés, les survivants retrouvant des bébés au crâne fracassé par la crosse des fusils ou des femmes brûlées vives à l’intérieur de leur maison. La plupart des exactions commises dans les 541 villages et les 11 quartiers de villes finalement rasés par l’armée israélienne ne peuvent être qualifiées de bavures, analyse Pappé, car elles participaient d’un plan général visant à éradiquer la présence palestinienne sur le territoire. L’auteur fait remarquer, de ce point de vue, que les programmes de l’industrie militaire israélienne, naissante à ce moment-là, comportaient des projets d’armes, y compris biologiques, forcément conçues pour être employées contre des populations civiles, et non contre une troupe ennemie. Pappé révèle notamment l’empoisonnement volontaire, avec l’emploi du germe responsable de la typhoïde, de la conduite d’eau desservant les habitants assiégés de la ville d’Acre, en mai 1948 (70 morts, avant que les responsables municipaux de cette ville palestinienne ne découvrent la source de l’épidémie). Suite aux guerres dans l’ex-Yougoslavie, le nettoyage ethnique est un crime que le droit international définit aujourd’hui comme crime contre l’humanité, constate Pappé. Néanmoins, on pourrait, on devrait même, si l’on veut donner une chance à la paix en Palestine, « faire jouer une règle d’obsolescence » concernant ces horreurs perpétrées il y a soixante ans, estime-t-il. « Mais à une condition : que la seule solution politique normalement considérée comme essentielle pour la réconciliation dans les autres cas de ce genre, soit le retour inconditionnel des réfugiés dans leurs foyers ».

PALESTINE LIBRE!!

Palestine: un peuple

jeudi 5 avril 2012

L'écrivain allemand Günter Grass, en octobre 2009.
L'écrivain allemand Günter Grass, en octobre 2009. | AP/JENS MEYER

Agé de 84 ans, le Prix Nobel de littérature allemand Günter Grass n'a rien perdu de son goût pour la polémique. Un poème publié mercredi 4 avril par le quotidien Süddeutsche Zeitung, le prouve. En 69 vers, ce poème intitulé "Ce qui doit être dit" défend l'Iran et critique Israël qui, selon lui, "menace la paix mondiale déjà si fragile". "Je ne me tairai plus", clame l'écrivain. Et de fait, Günter Grass attaque.
Israël, tout d'abord. Ce "pays qui dispose depuis des années d'un arsenal nucléaire croissant -même s'il est maintenu secret- et sans contrôle, puisqu'aucune vérification n'est permise". Pour l'auteur du Tambour, d'éventuelles frappes préventives israéliennes qui viseraient des installations nucléaires iraniennes, pourraient conduire à "l'éradication du peuple iranien parce que l'on soupçonne ses dirigeants de construire une bombe atomique".
Autre cible de l'écrivain : son propre pays, qui vient de vendre un sixième sous-marin à Israël, porteur d'ogives nucléaires. Enfin, troisième cible : "l'hypocrite Occident". Pas l'ombre d'une critique en revanche pour le régime de Téhéran. Se voulant pour l'occasion diplomate, Günter Grass propose la création d'une instance internationale contrôlant les armes nucléaires des deux pays.
Bien sûr, il n'est pas dupe. Cet homme de gauche qui n'a révélé qu'en 2006 son engagement dans la WaffenSS en octobre 1944 s'attend à être accusé d'antisémitisme, mais, à ses yeux, ce qu'il a dit "doit être dit".
CONDAMNATION UNANIME
Le poème était à peine paru que, dans le quotidien conservateur Die Welt, l'éditorialiste et polémiste Henryk Broder jugeait que "Grass a toujours eu un problème avec les juifs, mais il ne l'avait jamais aussi clairement exprimé que dans ce poème". Pour lui, l'écrivain est "l'archétype de l'érudit antisémite", de l'Allemand qui, "poursuivi par la honte et le remords", ne trouvera "la paix de l'âme" qu'avec la disparition d'Israël.
Israël a également réagi en publiant sur le site de son ambassade à Berlin un court texte : "Ce qui doit être dit, c'est qu'il appartient à la tradition européenne d'accuser les juifs de meurtres rituels avant Pâques (...). Ce qui doit aussi être dit est qu'Israël est le seul Etat au monde dont le droit à l'existence est officiellement contesté. Cela était déjà le cas le jour de sa création. Cela l'est encore aujourd'hui. Nous voulons vivre en paix avec nos voisins dans la région. Et nous ne sommes pas prêts à accepter le rôle que Günter Grass nous assigne dans le travail sur le passé du peuple allemand."
Si, sur Internet, les avis sont contradictoires à propos du texte de Grass, celui-ci est unanimement condamné par les responsables politiques, de la CDU au parti de la gauche radicale Die Linke, en passant par le SPD dont Günter Grass a pourtant été longtemps proche. Guido Westerwelle, le ministre des affaires étrangères, a de nouveau condamné l'Iran. Et si la chancelière Angela Merkel, en vacances, est restée silencieuse, son porte-parole, Steffen Seibert, a fait savoir qu'il n'avait "rien de neuf à dire sur les relations de la chancelière avec la personne et l'œuvre de Günter Grass". Relations connues pour être distantes depuis des années.