dimanche 26 février 2012

Définir le dandysme : Le subtil Oscar Wilde aurait sans aucun doute répliqué « définir, c’est limiter« > (Dorian Gray), mais allons nous-y hasarder quand même.
La définition la plus courante est : « Un dandy est un homme se voulant élégant et raffiné, se réclamant du dandysme« .
La définition la plus vague et la plus simple est : « qui se réclame du dandysme« , qui est lui-même « un mouvement culturel du fin du XVIIIème- XIXème siècle« .

definition-dandysme

On retrouve dans la plupart des dandysmes, une thématique commune – la recherche du Beau dont l’élégance est l’une de ses incarnations et par celà-même, faire de sa vie une œuvre d’art, c’est-à-dire être à la fois spectateur et metteur en scène de sa propre vie, qui se veut chef-d’œuvre de beauté.
Accoutrement, démarches, discours, esprit, manière d’être : voilà les moyens utilisés pour toucher au but.
Je parle de dandysmes, car force est de constater que cette spiritualité s’incarne de toutes les manières possibles, du sobre et froid pour Brummell, au Wilde extravagant et scandaleux, en passant par un Des Esseintes décadent.
C’est donc la soif d’esthétique et de perfection dans cette même esthétique, qui unit les dandys de tout temps et qui doit constituer le fondement même de toutes personnes se piquant d’être un « élégant ».

jeudi 9 février 2012

LES FOIBE UNE TRAGEDIE EUROPEENNES

De Chypre à la Bosnie, du Kosovo à l’Ossétie, des conflits territoriaux qui paraissaient complètement oubliés ont refait surface avec, en arrière-fond, des menaces d’exodes et d’épuration ethnique. Un autre conflit frontalier, tombé dans l’oubli depuis soixante ans, a récemment fait parler de lui. Il s’agit des territoires italiens annexés par la Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le 10 février 2007, le président de la république italienne, Napolitano, stigmatisait dans un discours le «dessein annexionniste slave qui avait prévalu dans le traité de paix de 1947 et avait pris les contours sinistres d’un nettoyage ethnique». Et le Président de poursuivre : «Il faut se souvenir de l’impardonnable horreur contre l’humanité constituée par les foibe.»
Les foibe sont ces cavités naturelles qui parsèment l’arrière-pays de Trieste, et dans lesquelles des milliers de personnes furent jetées, parfois encore vivantes, entre 1943 et 1947, victimes d’un nettoyage ethnique qui visait à vider cette région de toute présence italienne. Les mots prononcés par M. Napolitano suscitèrent la réaction immédiate du président croate Stipe Mesic qui, dans une note très sévère, accusa l’Italie de «racisme, révisionnisme historique et revanchisme politique». L’Union européenne condamna les propos du président croate, considérant que son langage avait été «inapproprié». Puis, le président slovène Drnovsek protesta contre les déclarations de M. Napolitano.
Voici donc l’Italie, la Croatie et la Slovénie engagées dans une querelle historique qui a frisé l’incident diplomatique. De quoi s’agit-il ? Les territoires du nord-est, récupérés par l’Italie après la Première Guerre mondiale, étaient situés depuis des siècles à la frontière du monde latin et slave. Si les villes - Trieste, Gorizia, Pola, Fiume et Zara - étaient largement peuplées d’Italiens, les campagnes demeuraient slaves. La cohabitation entre ces communautés s’était dégradée durant le fascisme qui avait poursuivi une politique d’italianisation forcée. A l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie avait participé à côté de l’Allemagne à l’invasion et au dépècement de la Yougoslavie, se heurtant aux partisans de Tito. Des atrocités avaient été commises par les deux camps, y compris, ce que l’opinion publique italienne a souvent tendance à oublier, par les troupes italiennes qui pratiquèrent parfois une stratégie de la «terre brûlée» inspirée des méthodes allemandes. Au printemps 1945, le IIIe Reich s’écroulait et les partisans yougoslaves envahissaient les marches orientales de l’Italie. Suite à un accord entre les alliés, après quarante jours d’occupation, les troupes de Tito quittèrent les villes de Trieste et de Gorizia, remplacées par les soldats anglo-américains ; tous les autres territoires ex-italiens furent confiés à la Yougoslavie.
Les autorités yougoslaves mirent tout en œuvre pour créer un fait accompli définitif. La politique de terreur ainsi planifiée constituait l’aboutissement d’une guerre civile qui avait eu des aspects à la fois nationaux (Italie contre Yougoslavie), ethniques (Italiens contre Slaves), idéologiques (fascistes contre communistes), sociaux (bourgeoisie italienne contre prolétariat slave) et géographiques (Italiens urbanisés contre Slaves ruraux). L’Italie était un pays vaincu qui n’avait plus voix au chapitre, tandis que la Yougoslavie, sortant du conflit légitimé par sa guerre de libération, était appuyée par l’URSS et courtisée par les Occidentaux. Le philosophe antifasciste italien, Benedetto Croce, écrivait avec tristesse et lucidité : «Nous Italiens, nous avons perdu la guerre, et nous l’avons perdue tous, y compris ceux qui s’y sont opposés de toutes leurs forces, et même ceux qui ont été persécutés par le régime qui l’avait déclarée, comme ceux qui sont morts en s’opposant à ce régime.»
C’est donc dans l’indifférence générale que le nettoyage ethnique décidé par les autorités yougoslaves put se mettre en œuvre. Il dura jusqu’à la signature du traité de paix de Paris du 10 février 1947, qui attribua définitivement ces territoires à la Yougoslavie. Sur la côte, les victimes étaient très souvent noyées, tandis que dans l’arrière-pays elles étaient jetées dans les foibe. La polémique sur le nombre des morts fait encore rage et varie en fonction des diverses sensibilités politiques, toutefois la plupart des historiens s’accordent sur une fourchette située entre 5 000 et 10 000. Pour le président croate Stipe Mesic, il s’agissait essentiellement de miliciens fascistes et autres criminels de guerre, éliminés à l’issue des combats de la libération : d’où sa réaction très vive aux propos du président Napolitano qui pour sa part insistait dans son discours sur l’aspect ethnique de cette épuration. Ce qui est certain, c’est qu’au final la grande majorité de la population italienne de ces terres quitta en catastrophe le pays de ses ancêtres. Ils furent ainsi 250 000 à fuir en quelques mois le «paradis du socialisme», souvent mal accueillis par une Italie soucieuse de se débarrasser à bon compte de tout ce qui pouvait rappeler de près ou de loin l’époque fasciste. Il aura fallu attendre la dislocation de la Yougoslavie pour que, timidement, l’ampleur de cette tragédie soit finalement connue. Une loi du 30 mars 2004 a institué en Italie un «jour du souvenir» des victimes des foibe, fixé au 10 février (date anniversaire du traité de Paris de 1947) : c’est à cette occasion que le président de la république italienne a tenu le discours ci-dessus mentionné. Dans un article publié le 1er janvier 2005 dans le Corriere della Sera, l’écrivain Claudio Magris a eu des mots très sévères pour les responsables de ce long oubli. Oui, la gauche italienne a longtemps ignoré le sujet, car ces crimes avaient été commis au nom du communisme ; quand aux autres, gênés par la perspective de se trouver engagés dans un combat où seuls les nostalgiques néofascistes faisaient entendre leur voix, ils avaient aussi préféré se taire. Magris concluait en mettant en cause, d’une manière plus générale, «l’ignorance crasseuse» de la classe politique italienne.
Le souvenir de ces événements semble quitter son aspect confidentiel et évoluer vers une commémoration officielle qui permettra aux familles des survivants d’accomplir leur deuil et, aux historiens, de pouvoir réaliser ces études de fond qui ont fait défaut jusqu’à présent. Surtout, la tragédie des foibe nous permettra, peut-être, de mieux appréhender les mécanismes immuables du nettoyage ethnique, menace aujourd’hui encore d’actualité au Caucase et dans les Balkans.