dimanche 20 mars 2011

La « crise » du logement à Bruxelles

A NATION, nous avons pour principe de parler en connaissance de cause. En l’occurrence, l’auteur du présent article a travaillé pendant plusieurs années dans le domaine du logement, il vit en colocation avec un autre membre du mouvement, il abrite un SDF sous son toit et il aide quelques personnes dans leurs problèmes locatifs.
De fait, les médias parlent souvent de « crise » du logement, mais le mot semble mal choisi, puisqu’il désigne un état passager, or la pénurie existe depuis au moins vingt ans.
Un constat consternant
L’énoncé de l’équation semble simple, sa résolution s’avère complexe : d’après une étude de l’Observatoire des Loyers (2006/2007), la location d’un appartement d’une chambre reviendrait en moyenne à 526 euros au centre ville et à 581 dans les communes de la périphérie, or 50% des ménages, souvent composés d’un isolé ou d’une femme avec enfants à charge, disposent d’un revenu inférieur à 1000 euros ! Avec un chômage à 20%, on ne s’en étonnera guère… Ceux qui travaillent ne sont pas toujours beaucoup mieux lotis ; par exemple, un jeune ouvrier ou un petit employé, qui débute au salaire minimum garanti, obtiendra 1375 euros brut, il consacrera donc plus de la moitié de ses revenus à son logement. Ajoutons les autres charges, que reste-t-il pour vivre ?
Soulignons de plus que la moyenne ne correspond pas à la réalité à laquelle le candidat locataire sera confronté ; en effet, les appartements disponibles sur le marché coûtent plus cher, car les statistiques incluent les baux de longue durée encore en cours qui n’augmentent qu’au gré de l’indexation. Autrement dit, un propriétaire qui dispose d’un logement libéré par ses anciens locataires proposera aux successeurs un loyer nettement supérieur. « Les précédents payaient 500, maintenant j’exige 600 » est devenu le réflexe courant du propriétaire ». Heureusement, certains plus raisonnables préfèrent proposer un loyer modéré dans l’espoir que les preneurs parviendront à le payer régulièrement.
Devenir propriétaires ?
Selon L’Union des Géomètres de Bruxelles, le prix moyen d’un appartement a quintuplé depuis 1975 et celui d’une maison a été multiplié par onze ! C’est du pur délire ! Nous comprenons aisément pourquoi la classe moyenne bruxelloise a migré en Brabant flamand ou wallon, pour acquérir une demeure à meilleur prix sise dans un environnement plus serein. Résultat, il ne reste que des riches dans l’Ouest et le sud de la capitale et des pauvres en son centre et aux abords du canal. Cette ville a perdu une part importante de sa substance et l’hémorragie continue, les petits employés et indépendants la fuient. Ainsi à Saint-Gilles, nous nous retrouvons avec un contribuable sur sept habitants, alors que 20.000 personnes travaillent dans la cette commune de 45.000 habitants.
De son côté, la Fédération royale des Notaires estime qu’« Un ménage, avec un revenu disponible de 3000 euros, c’est-à-dire un revenu normal pour deux salaires, peut consacrer un tiers, soit mille euros par mois, à un remboursement hypothécaire, ce qui correspond à une dette d’environ 150.000 euros sur vingt ans », or que peut-on encore obtenir à ce prix dans la capitale belge ? Et comme nous le soulignions au début de l’article, la moitié des ménages bruxellois disposent de moins de 1000 euros de revenu.
Selon le dernier rapport du SPF Economie, les prix de vente de l’immobilier esquissent, pour la première fois depuis des années, un léger recul au premier trimestre 2009. Sans doute un effet de la crise économique. Néanmoins, nous restons juchés sur des sommets, surtout à Bruxelles où nous trouvons les sept communes les plus chères du pays avant Lasne (Woluwe-Saint-Pierre, Uccle, Ixelles, Woluwe-Saint-Lambert, Etterbeek, Watermael-Boitsfort, Auderghem). Le propriétaire postulant trouvera les maisons les moins chères dans la riante commune de Molenbeek-Saint-Jean à 210.831 euros, ce qui reste supérieur aux moyennes flamande (180.923) et surtout wallonne (131.154). Et nous passons du simple au double si nous cherchons à Woluwe-Saint-Pierre.
Le prix moyen d’un appartement s’élève à 180.923 euros. Mais un couple qui a des enfants cherchera un logement comportant plusieurs chambres. Le problème se pose aussi pour les parents divorcés et isolés qui doivent disposer d’une deuxième chambre pour accueillir leur enfant en visite, bien qu’ils ne disposent que d’un seul revenu, souvent grevé d’une rente alimentaire. Par conséquent, il est difficile de devenir propriétaire sauf en héritant, en épargnant pendant quarante ans ou s’endettant jusqu’au cou. Et encore, il faudra convaincre une banque de prendre ce risque. Au reste, on peut s’offrir une villa à quatre façades, dans une commune cossue, pour un million.
Soulignons que la situation ne s’améliorera pas durant les prochaines années, car le Bureau du Plan prévoit une augmentation de la population bruxelloise, due principalement à une forte natalité, de 170.000 âmes d’ici 2020, ce qui nécessitera la création de 50.000 logements !
Un logement social ?
Le parc de logements sociaux offre environ 39.000 logements, ce qui représente 8% du marché locatif soit la moitié de la moyenne des villes européennes ou le tiers de Londres et Paris. Or, 30.000 demandeurs figurent sur les listes d’attente dont on a effacé 6.000 candidats pour des raisons diverses, la plus courante étant le non-renouvellement de la demande. Au bout de quelques années de patience, le postulant renonce. En outre, il existe des critères de priorité, il est clair qu’un homme seul, sans personnes à charge et sans handicap a peu de chance de succès.
En effet, les candidats locataires introduisent un formulaire unique en précisant les diverses sociétés où ils voudraient loger. Le postulant ne peut pas être plein propriétaire ou usufruitier et il doit répondre aux conditions de revenu imposable (à savoir 20000 euros pour un solitaire, 25000 pour un ménage à deux revenus). En outre, un des membres du ménage doit être inscrit au registre de la population ou au registre des étrangers. L’attribution est effectuée selon l’ordre chronologique, mais on octroie des « points de priorité » aux personnes seules avec enfants à charge, à celles qui ont perdu inopinément leur logement et en fonction des années d’ancienneté sur la liste d’attente.
80 % des ménages qui occupent un logement social ont un revenu imposable inférieur à 12500 euros. Evidemment, on ne s’étonnera pas que les trois quarts d’entre-eux ne disposent que d’une rentrée, le plus souvent une allocation de chômage ou un Revenu d’Intégration sociale ou encore une maigre pension. Plus inquiétant : seul un quart de ces familles comprend un travailleur… Il s’agit d’un mouroir social.
Nous ne croyons pas que la création de nouveaux logements sociaux soit la panacée. D’aucuns prônent leur multiplication; pour notre part, nous sommes opposés à l’érection de ces mouroirs. Concentrer tous les problèmes de notre société en un lieu n’est pas, à notre sens, une solution. On a pu constater le résultat de ce genre de politique dans les banlieues françaises. Au lieu de créer des ghettos, il faut au contraire disséminer la misère. Imaginez un jeune qui ne rencontre aucun travailleur, aucun copain diplômé, aucun voisin lecteur ? Qu’adviendra-t-il de lui ? Pardi, la même chose qu’à ses parents ! Sauf rarissime exception. Les logements sociaux ne produisent que des assistés, de génération en génération. Nous devons émerger de ce maelström infernal.
De plus, les gestionnaires de ces sociétés organisent une sorte d’aliénation par le logement. En effet, ils ont la capacité d’accorder 40% des appartements sur base de « dérogations » pour « circonstances exceptionnelles et urgentes ». Nous subodorons que le fait d’être en ordre de cotisation du parti n’est pas exceptionnel mais rend néanmoins l’affaire urgente… Il faut leur retirer ce pouvoir régalien ! Les véritables « urgences », telles que trouver un asile à des familles en détresse, doivent être gérées par une autre instance qui jouirait d’une faculté de réquisition.
Plutôt que d’ériger de nouveaux clapiers à lapins, politique onéreuse qui dépasse les moyens de la Région, il faudrait mieux gérer le parc existant. Pour un prix moindre, on pourrait rénover les 2300 logements sociaux insalubres. De plus, 2500 logements sont « suradaptés » comme on dit en jargon administratif. Autrement dit, un locataire qui occupe un appartement comprenant deux chambres excédentaires par rapport à la composition de son ménage doit verser un supplément de quelques dizaines d’euros mensuels. De cette manière, il rachète, à peu de frais, le droit d’occuper une vaste habitation, au détriment de familles en attente.
Par ailleurs, les communes bruxelloises louent environ 7500 logements à des personnes aux revenus faibles ou moyens. Dans la pratique, les attributions ne s’effectuent guère de manière transparente et le montant des loyers exclut les pauvres… Quant aux « agences immobilières sociales » qui gèrent environ 2000 logements, il y aurait beaucoup à dire sur le fonctionnement de la plupart d’entre-elles…
Bref, il vaudrait mieux faire le ménage dans le logement subsidié avant d’en construire de nouveaux pour les copains des amis.
Les surfaces inoccupées : logements à l’abandon et bureaux vides
Lors de la dernière enquête de terrain en date, réalisée en vue de l’élaboration du Plan régional d’Affectation des Sols, en 1998, les inspecteurs avaient repéré six mille immeubles déserts.
Par ailleurs, 12 à 15000 appartements seraient vides, souvent parce que les logements situés aux étages sont devenus inaccessibles, parce que les commerces ou les bureaux sis au rez-de-chaussée ont élargi leur devanture et leur surface en éliminant l’entrée privative du bâtiment. En ces cas, le propriétaire ou le locataire principal, qui est fréquemment l’occupant du rez, préfère laisser les étages à l’abandon, ce qui entraîne leur lente mais inexorable dégradation.
Selon les sources et les périodes envisagées, le parc de bureaux comprendrait 1.350.000 à 1.500.000 m² dont le taux d’inoccupation oscillerait entre 10 et 15%. En ces temps de crise, les entreprises réduisent la surface de leurs locaux. Quelles que soient les circonstances, il reste toujours un excédent qui dépasse les 100.000 m² dont une partie pourrait être convertie en logements. Les urbanistes et architectes inventifs prônent la création de grands ensembles mêlant de manière harmonieuse commerces, bureaux et habitations.
Que fait le Gouvernement régional ?
A cette question brutale, nos politiciens répondent souvent de manière oiseuse ou promettent la réalisation de plans grandioses, comme le ministre Dupuis qui avait annoncé la création de 5000 logements neufs en cinq ans (dont 70% de sociaux). Cinq ans plus tard, on en compte environ… 200 ! Un gosse n’oserait pas montrer un bulletin pareil à ses parents, mais madame s’est néanmoins présentée devant l’électeur aux dernières régionales, elle a récolté 6000 voix, pas assez pour garder son portefeuille face au 13000 d’Emir Kir. Rassurez-vous sur son sort, le PS l’a recyclée, elle occupe maintenant le perchoir du Parlement bruxellois (connaissant son sens de la diplomatie, cela augure de grands moments dans l’hémicycle). Vu l’état désastreux des finances régionales qui sont touchées de plein fouet par la crise, nous craignons que le nouveau Gouvernement ne puisse dégager de marges budgétaires pour créer ou rénover du logement… à moins de sabrer dans d’autres postes. Par exemple réduire l’effectif pléthorique des cabinets(300 postes, autant que pour la région flamande qui compte six fois plus d’habitants et alors que le ministère de la Région de Bruxelles-Capitale en compte 1800  ?!?!). La liste est longue. Ne plus installer de WC dans les parcs, ne pas renouveler les voitures de fonction superflue, abolir les formations inutiles dont la plupart pourraient être organisée en interne, éliminer les séminaires dispendieux dans les hôtels de luxe, les consultances réalisées par des copains ainsi que d’autres activités telles que la journée sportive pour les fonctionnaires, supprimer les subsides à un tas de « machins » qui ne servent à rien et on en passe des belles et des meilleures… Halte à la gabegie ! Des sous, il y en a, mais ils ne tombent pas dans la bonne escarcelle. En langage politiquement correct, on parlerait d’une « mauvaise allocation des ressources ».
Une solution qui ne coûte rien ou ne devrait rien coûter : la communauté
La colocation nous semble, dans l’immédiat, la meilleure des solutions possibles, car, louer à deux un grand appartement revient nettement moins cher que l’occupation deux plus petits. En général, deux colocataires solidaires payeront les trois quarts de la somme de leurs loyers d’isolés (soit 40%) et ils feront aussi des économies sur les charges.
Il faut néanmoins tenir compte de deux obstacles. Le premier est d’ordre administratif : les allocataires sociaux voient leurs revenus largement réduits lorsqu’ils élisent domicile à la même adresse. Il en va de même quand un allocataire s’associe à un travailleur, le premier perd une part de ses revenus et devient une « personne à charge » du second. Ce système réduit les relations humaines à un problème fiscal, il nuit à la naissance d’une amitié entre égaux. Il s’agit d’une des raisons pour lesquelles, nous sommes partisans d’une individualisation des conditions d’octroi des allocations sociales : la personne a le droit de les percevoir en fonction de son statut de sans emploi, d’handicapé ou autres pas en raison de son statut familial (marié, vivant en couple, avec ou sans enfant, isolé…).
Le second obstacle consiste à dépasser l’égoïsme dans lequel baigne notre société consumériste. Vivre en couple n’est pas chose aisée, partager un appartement avec un ou plusieurs quidam ne s’avère pas toujours facile. Pourtant, c’est l’occasion d’une rencontre et d’un échange, un vécu commun dont il sortira peut-être une estime réciproque. Il nous faut réapprendre à vivre en société. Antan, les scouts ou le service militaire vous offrait cet apprentissage ; aujourd’hui, nous devons explorer d’autres voies.
Et pourquoi ne pas louer ou acheter en groupe une maison ? Si chacun se domicilie à un étage différent, on évite l’écueil constitué par le cumul des allocations sociales ou des revenus du travail. Et on obtient plus facilement un prêt.
Des remèdes radicaux
Depuis l’adoption de la loi du 27 avril 2007, les propriétaires doivent enregistrer, gracieusement, leurs baux. Il est donc maintenant possible d’imposer les bailleurs sur leurs revenus réels et non sur un revenu cadastral qui est rarement à jour. En instaurant, un système progressif, tenant compte de la surface et de la qualité du logement, on dissuaderait les propriétaires d’augmenter les prix. Les revenus de cet impôt pourraient financer la création de logements neufs, la rénovation d’anciens bâtiments ou d’immeubles vides ou encore la transformation de bureaux en logements, cette augmentation de l’offre par une politique volontaire des pouvoirs publics inciterait le marché à la baisse. De plus, la vente ou la location de ces appartements augmenterait les recettes de la Région.
Il faut permettre au locataire des logements sociaux ou moyens de racheter leur appartement en versant un loyer majoré, comme s’ils payaient un emprunt sans intérêt. Ils seront ainsi incités à entretenir ou améliorer le logement qu’ils occupent et à veiller sur les espaces communset un jour ils deviendront propriétaires.
A la lecture des lignes qui précèdent, d’aucuns diront que je suis un doux rêveur, mais je préfère mes songes au réel cauchemar dont je suis, hélas, le lucide témoin au quotidien. Même devant mon bureau, je vois les SDF se multiplier, ces nouveaux misérables sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes.

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