dimanche 15 mai 2011

LA FIN DU MONDE MODERNE


Au XVIIIe siècle, la modernité, dont les racines sont beaucoup plus anciennes, a trouvé sa légitimation théorique dans l’idéologie du progrès.
Celle-ci, formulée notamment par Condorcet (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, ouvrage posthume paru en 1795), s’articule autour d’une affirmation simple : l’humanité, depuis ses débuts, est engagée de manière unitaire dans une perpétuelle marche en avant qui associe l’amélioration de ses conditions d’existence à l’amélioration continuelle de l’homme.
Il en résulte que la nouveauté (le novum) vaut pour elle-même au seul motif qu’elle est nouvelle. Cette marche en avant équivaut à un affranchissement du passé. Les sociétés traditionnelles déterminaient en effet leurs règles et leurs principes en fonction de ce qui paraissait avoir fait ses preuves dans le passé (la tradition, les ancêtres) : le terme grec archè renvoie aussi bien à l’« archaïque » qu’à ce qui fait autorité. C’est même l’ancienneté des coutumes qui en garantissait en quelque sorte la valeur.
Convaincues de la réalité du progrès, les sociétés modernes se légitiment au contraire par une promesse d’avenir. Elles ne sont pas plus libres – bien qu’elles pensent souvent l’être –, mais déterminées par la certitude de « lendemains qui chantent » : l’hétéronomie par le futur remplace l’hétéronomie par le passé.
C’est pourquoi elles tendent à ne voir que « préjugés » et «superstitions» dans la façon de faire des Anciens. Elles aspirent, elles, à un Homme nouveau, émancipé de tout ce qui, auparavant, faisait obstacle à la grande marche en avant du progrès.

L’idéologie du progrès est un historicisme. Reprenant la conception unilinéaire et vectorielle d’une histoire ayant un début et une fin absolus, qui provient de la Bible, mais en l’énonçant sous une forme profane (l’avenir remplace l’au-delà, tandis que le bonheur se substitue au salut), elle adhère de ce fait à l’idée de nécessité historique : l’histoire se dirige nécessairement dans une direction, et son trajet la porte nécessairement vers le meilleur.

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