mercredi 16 février 2011

Au sens classique, ce concept, d'origine typiquement européenne, rend compte de la mise en forme politique d'un peuple, c'est-à-dire de la prise de conscience par celui-ci de son identité et de ses intérêts propres, laquelle lui insuffle la volonté d'assurer son destin particulier dans l'universel. Au stade achevé, la nation est un peuple, une partie d'un peuple ou un ensemble de peuples, historiquement parvenu à la constitution d'un État propre.
La nation aujourd'hui, inséparable du principe d'État-nation, est pour nous un phénomène essentiellement négatif. Et cela pour plusieurs raisons. D'abord parce que les nations se sont créées sur les ruines de l'Empire et se sont maintenues en s'opposant systématiquement à l'idée impériale. C'est là un point sur lequel on n'insistera jamais assez : l'Empire précède les nations et, partant, la légitimité suprême lui appartient. Cette légitimité transcende les légalités transitoires des États-nations car seul l'Empire a la puissance nécessaire pour garantir l'avenir de la communauté de peuples qu'il organise. Les nations, précisément parce qu'elles créent des États ou cherchent à en créer, au détriment de l'Empire, constituent un principe de dissolution et organisent la sécession permanente.
Le processus s'est enclenché lors de l'affrontement de l'Empire romain et des peuples culturellement et politiquement attardés du Nord. La grande chance de l'Europe eût été alors la féconde intégration de ces peuples dans l'organisme impérial. Il n'en a, hélas, rien été. L'échec de la conquête romaine en direction de la Baltique, impressionnant par son ampleur et ses conséquences incalculables, a entraîné un face à face séculaire qui, on le sait, s'est achevé par la rupture de l'équilibre dans le sens le plus défavorable : nord-sud, barbarisation de l'Empire et non pas sud-nord, c'est-à-dire romanisation des barbares. Entretemps, un phénomène capital s'était pourtant produit : rebelles à l'intégration, les barbares, spécialement les Germains, n'en avaient pas moins été confrontés au rayonnement culturel et politique de l'Empire, et ce sont ces influences qui furent à l'origine d'un type d'organisation plus développé et plus efficace des peuples germaniques dans leur lutte malheureuse — pour l'Europe et pour leurs propres descendants — contre l'Empire. Ainsi les Grandes invasions furent-elles le fait non plus de clans ou de tribus mal organisés mais de puissantes confédérations qui n'étaient que l'adaptation, au niveau culturel des peuples concernés, du modèle de la vaste fédération impériale. Insistons bien sur ce fait : il n'y eut pas une mais plusieurs confédérations (Saxons, Francs, Alamans, Goths...) car jamais les Germains, pas plus que les Celtes, n'accédèrent à la claire conscience de leur identité ethnique et moins encore n'imaginèrent une quelconque unité "nationale". De la sorte, plus tard, quand les envahisseurs s'installèrent en vainqueurs sur le sol impérial, il y transplantèrent leur conscience ethnique et leur organisation politique, faisant même souvent disparaître jusqu'au nom des provinces qu'ils occupaient pour le remplacer par le leur. Ainsi, la Bretagne devint l'Angleterre et l'Italie faillit dans sa totalité devenir la Lombardie. Quant aux Gaules, elles cessèrent d'être le fleuron des terres d'Empire pour devenir cette chose dérisoire et barbare qu'on appela "Francia". Depuis lors, le problème majeur de l'Europe est celui de "l'Empire éclaté", effet néfaste de ce "germanisme politique", qui fut assez fort pour contribuer à abattre l'impérium romanum ("la plus grandiose forme d'organisation jamais atteinte dans des conditions difficiles", Nietzsche), mais qui resta incapable, malgré la très honorable tentative carolingienne, de restaurer l'unité perdue, dans un monde miné par le christianisme et voué désormais à la balkanisation "nationaliste" et à la guerre civile permanente.
Si maintenant on évoque le cas de l'Empire chinois, qui constitue l'autre grand pôle historique de l'Ancien Monde, la comparaison de révèle tout à fait défavorable à l'Europe. En effet, bien qu'elle ait connu des péripéties très semblables, avec invasions et partitions, la Chine a toujours su préserver ou restaurer son unité, et cela malgré une diversité et un polyethnisme très comparable à celui de l'Europe. Cet ajout, joint à celui d'une natalité dynamique, assure à la Chine des perspectives plus encourageantes pour le siècle à venir, ce qui n'est pas le cas de l'Europe, démographiquement déclinante, occupée et divisée en même temps que matériellement et mentalement balkanisée par sa structure multinationale.
De nos jours, la Nation-État, conçue comme une monade irréductible, est une forme périmée. Ses dimensions trop réduites la rendent incapable d'assurer l'indépendance et l'avenir des peuples qu'elle enserre, mais la rendent encore capable d'agir en tant que force centrifuge à l'intérieur d'une formation telle que l'Europe politique. Alors que le foisonnement des revendications enflamme les peuples de par le monde, la solution impériale apparaît comme la seule susceptible de préserver la puissance et donc la capacité d'agir sur le destin. Ceci d'autant plus que les idéologies dominantes ont aussi conçu la nation comme échelon d'une société mondiale, comme "département" d'une planète politiquement rationalisée. Aujourd'hui, le système occidental est fondé sur cette idéologie des nations, qui s'oppose à celle de l'Empire, et qui neutralise les peuples en les normalisant dans des nations "égales" qui ne sont plus, à la limite, que des coquilles vides, des cadres dépourvus de sens historique.
Petit Lexique du partisan européen

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