samedi 19 février 2011

CITOYEN DU MONDE?

"Car la loi nouvelle lui dit : "Tu seras citoyen du monde, tu vas être toi aussi empaqueté et déshydraté, tu n'écouteras plus le bruissement de tes arbres et la voix de tes cloches, mais tu apprendras à entendre la voix de la conscience universelle, secoue la terre de tes souliers, paysan, cette terre n'est plus rien, elle salit, elle embarrasse, elle empêche de faire de jolis emballages. Les temps modernes sont venus. Ecoute la voix des temps modernes. Le manoeuvre polonais qui change d'embauche douze fois par an est le même homme que toi,(...), ils ont les mêmes droits que toi sur ta terre et sur ta ville, (...), ô paysan. Ils ont les mêmes droits que toi et tu leur feras place à ta
table et ils entreront au conseil où ils t'apprendront ce que dit la conscience universelle que tu n'entends pas encore aussi bien qu'il faudrait. Et leurs fils seront des messieurs et ils seront établis juges sur tes fils, ils gouverneront ta ville et ils achèteront ton champ, car la conscience universelle leur donne expressément tous ces droits. Quant à toi, paysan, si tu fait des conciliabules avec tes camarades et si tu regrettes le temps où l'on ne voyait que des garçons du canton à la fête de la ville, sache que tu parles contre la conscience universelle et que la loi ne te protège pas contre cela."
Car telle est, en vérité, la condition de l'homme après la déposition des patries. On soutient par pression les régimes qui ouvrent largement la cité à l'étranger. On exige que ces étrangers reçoivent les mêmes droits que les habitants du pays et on condamne solennellement toute tentative de discrimination. Puis on ne reconnaît pour régulière qu'une manière d'opiner purement numérique. Avec ce système, quelle cité ne sera pas, en un temps donné, soumise par une conquête pacifique, submergée par une occupation sans uniforme et offerte finalement au règne de l’étranger ?  Le point final est atteint ici. Les différences nationales seront peu à peu laminées. La loi internationale s'installera d'autant mieux que la loi indigène n'aura plus de défenseurs. Les gérances nationales que nous décrivions tout à l'heure prennent dans cette perspective leur véritable signification : les Etats ne seront plus que les arrondissements administratifs d'un seul Empire. Et d'un bout à l'autre du monde, dans des villes parfaitement pareilles puisqu'elles auront été reconstruites après quelques bombardements, vivra sous des lois semblables une population bâtarde, race d'esclaves indéfinissable et morne, sans génie, sans instinct, sans voix. L'homme déshydraté régnera dans un monde hygiénique. D'immenses bazars résonnants de pick-up symboliseront cette race à prix unique. Des trottoirs roulants parcourront les rues. Ils transporteront chaque matin à leur travail d'esclave la longue file des hommes sans visage et ils les ramèneront le soir. Et ce sera la terre promise. Ils ne sauront plus, les usagers du trottoir roulant, qu'il y eut jadis une condition humaine. Ils ne sauront pas ce qu'étaient nos cités, quand elles étaient nos cités : pas plus que nous ne pouvons imaginer ce qu'étaient Gand ou Bruges au temps des échevins. Ils s'étonneront que la terre ait été belle et que nous l'ayons aimée passionnément. Eux, la conscience universelle propre, théorique, découpée en rondelles, illuminera leurs ciels. Mais ce sera la terre promise."
Maurice Bardèche, 1948.

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