dimanche 20 février 2011

groupe krisis

Une société centrée sur l'abstraction irrationnelle du travail développe nécessairement une tendance à l'apartheid social, dès lors que la vente réussie de la marchandise-force de travail, de règle devient exception. Depuis longtemps, toutes les fractions du camp du travail, qui englobe tous les partis, ont subrepticement accepté cette logique et poussent elles-mêmes à la roue. Elles ne s'affrontent plus pour savoir si une part toujours plus grande de la population sera ou non laissée sur le bord de la route et exclue de cette participation sociale, mais seulement comment faire passer, bon gré mal gré, cette sélection.

La fraction néo-libérale abandonne en toute tranquillité la sale besogne du darwinisme social à la « main invisible » du marché. C'est ainsi qu'on démantèle les structures de l'État social pour marginaliser, aussi discrètement que possible, tous ceux et toutes celles qui n'arrivent plus à suivre la concurrence. Seuls les membres ricanants de la confrérie des gagnants de la globalisation sont encore considérés comme des humains. La machine capitaliste, qui n'a d'autre finalité qu'elle-même, accapare naturellement toutes les ressources de la planète. Dès que celles-ci ne peuvent plus être mobilisées de manière rentable, elles doivent être mises en friche, même si, juste à côté, des populations entières meurent de faim.

Quant à ces fâcheux « déchets humains », ils relèvent de la police, des sectes religieuses millénaristes, de la mafia et de la soupe populaire. Aux États-Unis et dans la plupart des pays d'Europe centrale, il y a aujourd'hui plus d'humains emprisonnés que dans n'importe quelle dictature militaire. Et en Amérique latine, il meurt quotidiennement plus d'enfants des rues et d'autres pauvres sous les balles des escadrons de la mort de l'économie de marché qu'il n'y a eu de contestataires assassinés à l'époque de la pire répression politique. Il ne reste aux exclus qu'une fonction sociale : celle de l'exemple à ne pas suivre. Leur sort doit inciter tous ceux et toutes celles qui jouent encore à la chaise musicale de la société de travail à lutter pour les dernières places. Et, par-dessus le marché, tenir en haleine la masse des perdants, de sorte que ceux et celles-ci n'aient même pas l'idée de se révolter contre les exigences insolentes de ce système.

Mais même au prix de l'abdication de soi, le meilleur des mondes de l'économie de marché totalitaire ne prévoit pour la plupart qu'une place d'humain souterrain dans l'économie souterraine. Il ne reste aux humains qu'à proposer humblement leurs services comme travailleurs ultra-bon marché et esclaves démocratiques aux gagnants de la globalisation plus fortunés. Ces nouveaux et nouvelles « pauvres qui travaillent » peuvent ainsi cirer les chaussures des derniers hommes et femmes d'affaires de la société de travail moribonde, leur vendre des hamburgers contaminés ou surveiller leurs centres commerciaux. Celles et ceux qui ont laissé leur cervelle au vestiaire peuvent même rêver de devenir millionnaires comme prestataires de service !

Dans les pays anglo-saxons, ce monde terrifiant est déjà la réalité pour des millions d'hommes et de femmes, sans même parler du Tiers-Monde et de l'Europe de l'Est ; et en Euroland, on se montre décidé à vite rattraper le temps perdu. Depuis longtemps, la presse économique ne cache plus le futur idéal du travail tel qu'elle se l'imagine : les enfants du Tiers-Monde qui nettoient les pare-brise des voitures aux carrefours sont l'exemple lumineux de « l'esprit d'initiative » auquel doivent aspirer les chômeurs face à ce « manque total de prestations de service » qui serait le nôtre. « Le modèle du futur est l'individu patron de sa force de travail et de sa protection sociale », écrit la Commission pour les questions d'avenir des États libres de Bavière et de Saxe. Et de poursuivre : « Plus les services simples et personnalisés sont bon marché, plus la demande est grande : c'est-à-dire que les prestataires de service y gagnent moins. » Alors que ces affirmations provoqueraient une révolte sociale dans un monde où l'amour-propre existe encore, elles ne suscitent qu'un hochement de têtes impuissant dans ce monde de bêtes de somme qu'est la société de travail.

« Le criminel avait détruit le travail tout en emportant le salaire d'un ouvrier. À lui maintenant de travailler sans rémunération et d'entrevoir les bienfaits du succès et du gain même dans son cachot. […] Le travail forcé doit l'éduquer au travail honnête comme action personnelle et librement choisie. »
Wilhelm Heinrich Riehl, le Travail allemand, 1861

Groupe Krisis : Manifeste contre le Travail. Juin 1999.

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