lundi 10 janvier 2011

entretien avec gabriele adinolfi


Membre fondateur du mythique groupe italien Troisième position, auteur de Nos belles années de plomb (L’Aencre, 2004), animateur du projet Polaris, Gabriele Adinolfi a accepté de s’entretenir avec notre rédaction.

Camarade Adinolfi, avec le recul, quand on voit où en est l’Italie et son mouvement national actuellement, est-ce que le sacrifice de toute une génération dans les années de plomb se justifie ?

Le sacrifice de cette génération n'a pas eu pour cause seulement le désir de faire une révolution politique mais aussi celle de sauvegarder la dignité et la liberté menacées par des ennemis autoritaires, déloyaux, violents et arrogants. Il a été du, donc, à deux facteurs : l’exaspération et le désir de justice. Politiquement ce qui en a fait la spécificité a été l’innovation pratique et conceptuelle, par exemple la lutte pour le logement dans les faubourgs de Rome ou le « tercerisme » au niveau international. Mais l’opposition frontale au système devait, par la force des choses, avoir un effet destructeur. De ce point de vue, le mythe de l’« antagonisme » - qui fut alors source de nombreux débats au sein de la mouvance et qui déterminait la conception de la révolution nationaliste - ne pouvait que conduire à l’impasse.

Qui était à cette époque l’ennemi pour vous : gauchistes/marxistes ou système ? Est-ce que votre position a changée maintenant ?

Notre ennemi était le système : c'est-à-dire nous mêmes. Dans le sens que le premier ennemi que nous ayons est le bourgeois, le marchand, le lâche, qu'on trouve dans chacun de nous. Nous nous battions contre un système qui était celui du crime organisé qui avait gagné la seconde guerre mondiale et qui nous avait imposé une économie faite de trafic d'êtres humains, de drogues, d'armes et de ressources énergétiques. Un ennemi qui était le vampire international de l'usure et qui bénéficiait du soutien de la machine militaire de l'impérialisme américain.

Pour nous, alors, les marxistes qui nous tiraient dans le dos étaient seulement des « idiots utiles » du capitalisme transnational. Quand on évoque cette période, il faut intégrer le fait que nous avons perdu plus de trente de nos camarades « tués par les rouges » et que nous évoluions alors dans un scénario virtuel dans lequel la majorité de la population croyait se trouver au cœur d’une « Guerre froide » comme certains croient actuellement assister au « Choc des civilisations ».

Quelle est la situation des prisonniers politiques en Italie ? Tout particulièrement quelle est la situation des prisonniers dits « fascistes » ?

Aujourd'hui les prisonniers politiques encore détenus ne sont que quelques dizaines, et le nombre des « fascistes » ne dépasse pas les dix. Au plus fort de la répression, le nombre des détenus politiques en Italie dépassa les quatre mille, soit dix fois plus que pendant toute la période fasciste !.

Quant aux conditions de détentions, elles ont dépendu du degré de défaite intérieure... En effet, un système très sophistiqué prévoyait de classer les prisonniers dans sept catégories avec des droits différents qui allaient de l'impossibilité de communiquer (des mise à l’isolement très longues dans les « cellules des morts ») à un système de quasi liberté pour qui reconnaissait que finalement « il aimait le Grand Frère ». En Italie, on a libéré au bout de quelques années des responsables d’homicides multiples alors que sont restés en prison - jusqu'à vingt-cinq années - des condamnés qui n’avaient pas versé de sang.

La couleur politique a jouée dans l’exécution des peines, car les gauchistes avaient des amis dans les institutions ce dont les fascistes étaient dépourvus. Ceux-ci ont donc eu moins d’opportunités d'obtenir des remises de peines. Mais il est aussi vrai que quelques gauchistes ont « payé » avec dignité jusqu'au bout. Le brigadiste Paolo Ferrari, par exemple, condamné seulement pour « participation à une bande armée », est resté en prison, dans un quartier de haute sécurité, pendant vingt-neuf ans car il était trop intègre. De même, Renato Curcio, le fondateur des Brigades rouges, qui n’a jamais commis - ni ordonné de commettre - un homicide, a payé beaucoup plus que d'autres de ses camarades qui avaient fait le jeu de la stratégie de la tension comme Mario Moretti, responsable de plusieurs meurtres.

De l'autre bord, Dario Perdetti, jeune chef des premiers Noyaux armés révolutionnaires, alors même qu’il n’y avait contre lui aucune accusation de crime de sang, a passé des années interminables en prison, presque le double de l'inquiétant Giusva Fioravanti [1].

Il faut prendre en compte aussi l'arme subtile de la « détention préventive » qui a fait passer quatre ou cinq ans en prison à de jeunes militants qui ensuite ont eu un non-lieu lors du procès. En résumé, ce n'était pas Guantanamo mais le principe y ressemblait beaucoup. Il y a même eu des épisodes de tortures physiques ou morales (par exemple l’exécution à blanc de détenus auxquels avaient été lue la sentence de mort émanée de « tribunaux militaires » issus d’un prétendu coup d'état).

Que pensez-vous des demandes d’extradition de « réfugiés politiques » italiens en France, et plus particulièrement du cas Cesare Battisti ?

C’est un retour sur le passé. Je pense que la question a été mal posée tant par la gauche que par la droite. Il ne s’agissait pas de déterminer si Battisti était ou non innocent, ni si les motivations de ses actes étaient politiques ou criminelles. Son extradition avait été refusée, précédemment, parce que les droits de la défense de Battisti n’étaient pas garantis. Ce faisant, le tribunal français avait condamné l'iniquité manifeste de la justice italienne - qui alors violait systématiquement les droits de la défense - et réaffirmé la souveraineté juridique de la France. La décision contraire, prise cet été, est juridiquement discutable parce que les droits à la défense de Battisti ne sont pas plus respectés, en Italie, maintenant qu’avant. Elle est aussi politiquement suicidaire parce qu'elle constitue un précédent qui fait que, n’importe quel juge de n’importe quel pays, pourra obtenir l'extradition d'un citoyen français pour un délit d'opinion, c’est ce qui est actuellement demandé pour des Basques français poursuivis par le juge espagnol Garzon pour apologie de crime.

Qu’est-ce que le « projet Polaris » ? A quoi visez-vous avec celui-ci ?

Aujourd'hui, on se trouve dans une phase sociologique particulière et nouvelle. La globalisation n'est pas complète et il n’est pas certain qu’elle le sera un jour ; cependant, au Nord et à l’Ouest, nous assistons à l'abdication des pouvoirs d'Etat face aux grands trusts et, en même temps, à la désarticulation du tissus social. Ceci pendant qu'une guerre décisive est menée par l'Amérique contre l'Europe en terme géopolitique avec le contrôle des sources énergétiques et le suclassement militaire et aérospatial. Tout cela se déroule dans un champ politique dont les citoyens sont totalement absents. De même, dans les années à venir, tout laisse à penser que tout se jouera, encore plus qu’à l'habitude, entre les oligarchies et les « élites ». On en revient donc, en politique, d’une certaine mesure à l’ancien régime, à la situation d’avant Napoléon Bonaparte.

L'histoire nous enseigne cependant qu'il existe une différence essentielle entre les diverses élites. Celles de culture oligarchique ont tendance à duper, à exploiter et à éloigner les masses de la participation au fonctionnement de la société. Celles de culture populaire ont par contre tendance à les impliquer, à les défendre et à les responsabiliser.

On doit donc, alors, créer une nouvelle synthèse entre l’élite et le peuple. Pour cela, il faut agir, et agir dans la direction juste. Continuer de suivre les modèles politiques des années soixante-dix, qui sont déjà des survivances des années trente, est chose stérile. Il faut intervenir sur le réel avec une instantanéité bouleversante, de tradition futuriste, arditiste, squadriste, et il faut le faire en ayant une vision globale.

Puisqu'il existe en Italie une tendance d'avant-garde qui, entre autres choses, a produit des occupations d’immeubles et qui est, donc, immergée dans le social, il faut que cette avant-garde puisse devenir une l'élite et qu’elle puisse faire parvenir au stade de l'élite des personnes communes. Polaris veut être une tentative de formation de cette élite populaire et sociale sur des bases politiques, sociologiques, artistiques, communicationnnelles, philosophiques et existentielles.

En somme, c’est un laboratoire qui a pour objectif l’avenir et non pas la conquête de parcelles de pouvoir ou le repli sur des positions antagonistes, verbeuses et inconsistantes.

1 - Auteur de plusieurs assassinats, condamné comme « auteur » de l’attentat de Bologne (une centaine de morts et de blessés).

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