mardi 11 janvier 2011

georges sorel :reflexion sur la violence

Il me semble que l'optimisme des philosophes grecs dépend en grande partie de raisons économiques ; il a dû naître dans des populations urbaines, commerçantes et riches, qui pouvaient regarder le monde comme un immense magasin rempli de choses excellentes, sur lesquelles leur convoitise avait la faculté de se satisfaire. J'imagine que le pessimisme grec provient de tribus pauvres, guerrières et montagnardes, qui avaient un énorme orgueil aristocratique, mais dont la situation était par contre fort médiocre ; leurs poètes les enchantaient en leur vantant les ancêtres et leur faisaient espérer des expéditions triomphales conduites par des héros surhumains ; ils leur expliquaient la misère actuelle, en racontant les catastrophes dans lesquelles avaient succombé d'anciens chefs presque divins, par suite de la fatalité ou de la jalousie des dieux ; le courage des guerriers pouvait demeurer momentanément impuissant, mais il ne devait pas toujours l'être ; il fallait demeurer fidèle aux vieilles moeurs pour se tenir prêt à de grandes expéditions victorieuses, qui pouvaient ...
...Les syndicats révolutionnaires raisonnent sur l'action socialiste exactement de la même manière que les écrivains militaires raisonnent sur la guerre ; ils enferment tout le socialisme dans la grève générale ; ils regardent toute combinaison comme devant aboutir à ce fait ; ils voient dans chaque grève une imitation réduite, un essai, une préparation du grand bouleversement final....
On éprouve beaucoup de peine à comprendre la violence prolétarienne quand on essaie de raisonner au moyen des idées que la philosophie bourgeoise a répandues dans le monde ; suivant cette philosophie, la violence serait un reste de la barbarie et elle serait appelée à disparaître sous l'influence du progrès des Lumières. Il est donc tout naturel que Jaurès, nourri d'idéologie bourgeoise, ait un profond mépris pour les gens qui vantent la violence prolétarienne ; il s'étonne de voir des socialistes instruits marcher d'accord avec les syndicalistes ; il se demande par quel prodige de mauvaise foi des hommes qui ont fait leurs preuves comme penseurs peuvent accumuler des sophismesen vue de donner une apparence raisonnable aux rêveries de personnages grossiers qui ne pensent pas.Cette question tourmente fort les amis de Jaurès, qui traitent volontiers de démagogues les représentants de la nouvelle écoleet les accusent de chercher les applaudissements de masses impulsives. ...

....Pendant très longtemps la Révolution apparut comme étant essentiellement une suite de guerres glorieuses qu'un peuple, affamé de liberté et emporté par les passions les plus nobles, avait soutenues contre une coalition de toutes les puissances d'oppression et d'erreur. Les émeutes et les coups d'État, les compétitions de partis souvent dépourvus de tout scrupule et les proscriptions des vaincus, les débats parlementaires et les aventures des hommes illustres, en un mot tous les événements de l'histoire politique, n'étaient, aux yeux de nos pères, que des accessoires très secondaires des guerres de la Liberté
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